NOTES DE GUERRE
De mon grand-père Michel Dillard
Jerome Dillard
15/9/2006
A mes petits enfants,
Michel Dillard
NOTES
DE GUERRE
2 août 1914. La déclaration de guerre nous surprend comme un coup de tonnerre.
Les affiches « Ordre de mobilisation générale » tapissent les murs « Par décret
du Président de
Raymond quitte aussitôt Pornichet pour Blois.
La famille était en vacances à Pornichet. Mon père
était resté à Blois. De mes deux soeurs aînées, l’une était religieuse et
l’autre avait épousé un architecte de Dieppe. Mes deux frères aînés étaient
officiers de marine, Robert sur le Loiret à Rochefort et Pierre sur le Doudart de Lagrée en Chine. Mon
frère Raymond vient de faire une année de Polytechnique. Quant à moi, combinant
des études musicales avec ma licence en droit (que je ne pourrai terminer
qu’après la guerre), j’étais à Pornichet avec mes plus jeunes frères Victor,
Etienne et Paul.
Raymond arrive à minuit à Blois pour repartir le
lendemain matin et n’a de cesse que mon père lui donne des louis d’or, seul
paiement imaginable à cette époque (la solde des officiers fut payée en or
pendant les premiers mois de la guerre). L’école Polytechnique le dirige sur le
camp de Châlons où, aucun cantonnement n’étant
prévu, on le loge dans une construction édifiée pour le tsar Nicolas Il.’
Je regagne également Blois dans l’intention de
m’engager. Je trouve mon père très affairé par la réquisition, car l'armée
ayant besoin de tissus de toutes sortes, toutes les réserves des magasins de
mon père étaient accaparées par l’intendance de Blois, commandée par notre ami
Georges Dolïveux. Aussi mon père avait peine à
suffire à la tâche qui lui était demandée.
Ma mère et les enfants nous rejoignent à la fin du
mois, conduits en auto à la gare de Saint-Nazaire. Enfin ma soeur de Dieppe,
après un voyage épique, se réfugie à Blois avec ses enfants.
Le 113e régiment d’infanterie a quitté Blois pour le front
des armées, accompagné à la gare par les Blésois en larmes.
Le 25 août, un communiqué précise que le front s’étend
« de
Quelques nouvelles nous parviennent. Pierre redescend
le Fleuve Bleu à toute vitesse, suivi par une canonnière allemande. Raymond a
été nommé officier au 460 d’artillerie. Il a fait la retraite du Nord. Les
blessés arrivent en gare de Blois. On a transformé en hôpitaux les
institutions. L’école Notre-Dame des Aydes, où nous
avons tous fait nos études (Victor y entre en Mathématiques) devient l’hôpital
13 (Docteur Courboulés). Ma mère dirige la lingerie
du lycée devenu hôpital 21 (Docteur Delthyl).
Puis c’est le tragique appel de Joffre: « Au moment où
s’engage une bataille dont dépend le sort du pays, il importe de rappeler à
tous que le moment n’est plus de regarder en arrière... Une troupe qui ne
pourra plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se
faire tuer sur place plutôt que de reculer... » et le
communiqué du 10 Septembre « La bataille de
J’avais 18 ans. Je fis les formalités nécessaires pour
m’engager. Mais j’avais compté sans mon père. Le commandant de recrutement
(Commandant Destenay) était de ses amis. Il me
convoqua, me fit entendre que ma famille avait pour le moment suffisamment de
représentants sous les drapeaux et me demanda de patienter.
Ma mère crucifiée d’avoir trois enfants en danger, me
voyait partir avec beaucoup d’appréhension. Elle estimait que ma santé était délicate,
que j’avais souffert des jambes toute ma jeunesse, et que mes maux de gorge
étaient perpétuels. Je lui promis de choisir l’arme cycliste, m’entraînant à la
marche et au sport et devançai l’appel de la classe 1916 pour obtenir d’être
incorporé au 7e groupe cycliste à Orléans, quartier de Sonis.
Le groupe était commandé par le Capitaine de réserve
Champ, rédacteur au journal l’Auto. Mon initiation fut assez pénible. Je fus
d’abord privé de permission pendant un mois. Puis, comme j’étais un des rares
bénéficiant d’une éducation secondaire, je fus désigné d’office pour le
nettoyage des cabinets tous les matins. Enfin, ma selle de bicyclette me
blessant, je la déformai légèrement, et, pour ce crime, je dus coucher en salle
de police pour la première et dernière fois de ma vie. À intervalles réguliers,
nous descendions dans la cour les planches qui nous servaient de sommiers pour
y brûler les punaises à la lampe à souder. Cependant le moral était élevé et
dans les chambrées se succédaient les chants patriotiques « Ils n’auront pas
l’Alsace et
Quant à moi, j’avais un cafard monstre de cette
ambiance, malgré nos amis Orléanais Lestang, Lemaire
et Eymieu. Un peu plus tard, je pus louer une chambre
avec Jean Mornet et Guy de Bersaucourt
et partir de temps en temps à Blois le dimanche en permission vraie ou fausse.
Mon père nous emmenait en break aux Grouets. Il lui
arriva même d’oublier de revenir me rechercher à temps pour mon train de
retour, m’obligeant à gagner la gare au pas de course pendant huit kilomètres.
Puis ce fut le drame. Je vis un jour arriver mon père
au quartier. Il s’entretint avec le Capitaine et m’emmena à Blois, m’annonçant
en chemin que mon frère Pierre était tué.
Nous avions tous pour mon frère Pierre une affection
particulière.
L’abbé Montagne, directeur de Notre Dame des Àydes avait reçu un télégramme de Robert ainsi conçu «
Pierre tué glorieusement. Prévenez ses parents qui peuvent être fiers de lui. »
Du Doudart de Lagrée, Pierre avait rejoint le Montcalm, puis embarqué le 6
septembre sur le Dupleix, partant pour une destination inconnue.
le 23 mai 1915, le vice-amiral Nicol, commandant
l’escadre des Dardanelles, recevait de l’amiral anglais l’ordre d’envoyer sans
délai un croiseur à Boudroum pour y chercher des
renseignements sur les sous-marins ennemis. Le 25, au lever du jour, le
Dupleix arrive devant Boudroum. La veille, il avait
croisé le Loiret et Pierre avait reçu le courrier de France des mains de son
frère Robert.
La baleinière du Dupleix se voyant refuser la visite
du port, Pierre, commandant la 1re compagnie de débarquement, part à son
secours dans un canot armé en guerre. Les deux bateaux sont criblés de balles
provenant des créneaux des remparts. Pierre fait alors débarquer ses hommes sur
un îlot rocheux où il est frappé d’une balle à l’épaule. Il tamponne le sang
qui coule de sa blessure et dirige le réembarquement sur un canot de secours.
Il est alors frappé mortellement au ventre et meurt dans la nuit en disant «
Dites au Commandant que je suis content de mourir pour
L’amiral Guépratte épingle sur son cercueil
Ma mère commençait son long calvaire.
A l’instigation de mes parents, Raymond apprit la
terrible nouvelle par le marquis de Polignac qui était de son unité.
Je restai à Orléans jusqu’au 15 septembre où je fus
nommé élève-aspirant à Saint-Cyr. Avant mon départ,
mon capitaine s’empressa de faire effacer de mon livret militaire ma punition
de salle de police.
L’école spéciale militaire de Saint-Cyr me laissera
des souvenirs dont je serai empreint toute ma vie. Le cadre, la qualité des
officiers instructeurs, les traditions, l’esprit de corps et de camaraderie
ont façonné au plus haut point mon esprit de commandement et ma conception de
l’honneur militaire. J’y rencontrai Jacques Querenet
(qui devait devenir mon cousin) et Marc-André Gonin, tous deux futurs avocats
du Conseil de l’Ordre.
Je fus versé à la 1re Compagnie (capitaine Mathenet) et à la 1re Section (lieutenant de Richemont).
L’instruction était très dure et souvent à la limite de nos forces. Cependant
la mère Malvina nous accompagnait à l’exercice et nous réconfortait de ses
sandwiches. J’eus la malencontreuse idée d’attraper la scarlatine le 28 novembre
et d’être hospitalisé à Versailles à l’hôpital Dominique Larrey. Ma scarlatine
s’aggrava et se compliqua de diphtérie. J’étais considéré comme perdu. Une
certaine nuit, je fus veillé par une infirmière bénévole, Mademoiselle de Loynes, qui me fit des lavages de gorge toutes les heures.
Le lendemain, j’étais sauvé. Mes parents, inquiets, me faisaient visiter par
une de leurs vieilles amies de, Blois, Madame Dauge.
J’eus 30 jours de convalescence et regagnai Saint-Cyr dont je ressortis le 7
mai 1916 avec le grade d’aspirant.
L’année 1915 avait été stérile en résultats
militaires. Les tentatives de percée du front n’avaient pas abouti et
l’offensive d’Àrtois et de Champagne avait coûté aux
seuls Français 135000 tués ou disparus et 200000 blessés graves. L’Amérique
avait failli entrer en guerre à la suite du torpillage du paquebot anglais
Lusitania transportant 1 200 passagers dont 118 américains. Enfin, le 21
février 1916, l’ennemi attaque sur le front de Verdun et s’empare du fort de
Douaumont. Pétain est appelé au commandement du secteur de Verdun.
Les nouvelles de mes
frères sont glorieuses. Robert a été nommé sur le cuirassé Saint-Louis, puis
sur le croiseur auxiliaire Champagne. Raymond se bat à Verdun et récolte deux
belles citations « Venu sur sa demande le 25 avril 1916 remplacer au poste
d’officier adjoint au commandant de groupe un camarade blessé, a fait preuve
dans ses fonctions d’un entrain remarquable. A donné l’exemple du sang-froid et
du courage en portant à plusieurs reprises des ordres de tir aux batteries sous
de violents bombardements. Toujours volontaire pour les missions les plus
périlleuses et les plus dures, s’est dépensé sans compter pour assurer les
liaisons téléphoniques et optiques avec les tranchées avancées » (61e régiment
d’artillerie) « officier plein d’entrain toujours prêt à se rendre aux
tranchées et à accomplir les missions les plus difficiles, montrant, sous les
plus violents bombardements, un mépris absolu du danger. A été, dans les durs
combats du 19 au 25 mai 1916 pour le Commandant du groupement, un auxiliaire
des plus précieux, toujours volontaire pour le service d’observation et
provoquant en temps opportun le déclenchement des tirs de barrage qui, notamment le 20 et 22 mai 1916,
ont arrêté net les attaques ennemies. » (4Oe division d’infanterie). Victor,
mobilisé en février 1916, est affecté à la 105e batterie de 58 T (crapouillots)
du 44e d’artillerie à la 69e division où il retrouve
Raymond.
Je pars au front avec armes et bagages via Montargis,
Sens, Troyes et Mourmelon et je rejoins le 7e groupe
de chasseurs cyclistes le 22 mai 1916 à Trépail
(Marne). Reçu froidement par le lieutenant Dupuis (Instituteur à Cercottes) je pars le soir même aux tranchées avec des
sous-officiers légèrement éméchés par le vin de Champagne.
Je fais donc en Champagne mes débuts de combattant.
J’ai ainsi de la chance car les tranchées sont creusées dans la craie et par
conséquent relativement propres. Je saurai plus tard ce que sont les tranchées
dans la boue. La relève s’effectue avec son silence ordinaire, dans la nuit
noire, malgré le bruit difficile à éviter des fusils et des gamelles et les «
faites passer »inévitables. Petit serrement de coeur en arrivant aux premières
lignes en se disant : Je suis l’avant-garde de l’armée, au contact
immédiat de l’ennemi, et je veille sur le sommeil des Français...
Ici les corvées de ravitaillement arrivent sans difficulté. Comme nourriture le perpétuel « singe» (boeuf en conserve). Naturellement on couche sur la terre. Ce n’est terrible qu’en plein hiver. Je fais connaissance avec les poux (les totos) reconnaissables à leur croix de fer. J’évite les « feuillées » pleines d’asticots grouillant. La plaine sent le mort en putréfaction. Il faut s’y habituer. La vue du cadavre cependant m’écoeure car les orbites de ses yeux sont remplies d’asticots. Quant à l’odeur des chevaux morts et gonflés, elle est insupportable.
Secteur sans attaque. La nuit, nous posons des
barbelés devant nos lignes et l’ennemi s amuse à nous arroser d’obus de 150 bien pointés.
Nous sommes relevés le 3 juin. Cantonnement à Trépail où je reste pour un cours de grenadier, alors que
le groupe part à Monts de BiIly se faire massacrer
par des obus de gros calibre. C’est le commencement de ma prise en charge par
Chaque nuit, nous passons les barbelés et fouillons
la plaine de part et d’autre de la route de Nauroy.
Le 17 juin 1916 est mon jour de chance. L’ennemi patrouille également et à la
même heure. Je vois leurs ombres passer la route. Ils sont plus nombreux que
nous et nous coupent la retraite. Dans nos tranchées, ils nous pensent perdus,
car ils ne peuvent tirer. Je décide de bluffer et de passer à l’attaque. Nous
nous formons en tirailleurs comme à la manoeuvre. Par bonds, nous marchons sur
le centre ennemi que protège un vieux camion laissé là au cours de la bataille
de
A ma grande surprise, je suis cité à l’ordre de la 7e
brigade de cavalerie
légère
pour avoir conduit une patrouille « avec énergie et beaucoup de courage ».
J’en préviens Blois avec une fierté non dissimulée.
Ma mère avait disposé une croix de guerre à long ruban
sur la cheminée du salon et y collectionnait les citations de ses fils. « Ce
sont mes titres de noblesse » disait-elle.
Raymond vient me surprendre au cantonnement de Trépail
et m’emmène déjeuner à Epernay pour fêter mes premières armes.
A l’est, la bataille de Verdun fait 190000 morts
français et 270 000 blessés.
Le 30 juin, le général Gouraud nous passe en revue
avec des troupes russes au camp de MaiIly. Six jours de
tranchée sur la route de Nauroy (toujours) et
embarquement par une chaleur torride à Oiry, par
Epernay, Meaux, Noisy le Sec et Saint - Just - en -
Chaussée pour l’offensive de
Beaucoup d’émotion, mais une certaine attitude due à
l’émulation devant la belle conduite de mes frères, et au fait que les civils
vous considèrent un peu comme un héros. Victor a déjà glorieusement débuté. Il
est cité à l’ordre de la 69~ division. «Une pièce ayant été réduite au silence
par l’éclatement d’une torpille ennemie qui avait blessé grièvement un servant
et bouleversé la position, s’est porté de sa propre initiative à cette pièce,
l’a remise en état de tirer, et l’a servie lui-même sous un très violent
bombardement de torpilles et d’obus. »
J’ai eu grand mal a retrouver mon unité car je n’avais
pas d’indications et j’ai dû faire de nombreux kilomètres dans la boue, sac au
dos. Les routes de
Départ aux tranchées le 20 novembre. Le Quesnay, Beaufort,
Maucourt, ChiIly. La relève
est très pénible. Le guide se perd. Il nous fait errer toute la nuit, très
fatigués. Je m’établis dans un ancien abri boche. Si l’ennemi vient, je regarderai
la direction de l’attaque et nous ferons feu. Les obus pleuvent. Chaumes est en
feu. Le ravitaillement n’arrive pas. L’horizon est affreux. Les cadavres
jonchent le paysage dans une mer de trous d’obus. C’est là que j’ai admiré mes
petits chasseurs qui étaient volontaires pour remplacer leurs camarades tués
ou blessés l’un après l’autre au poste de guet.
Relève le 24 novembre sous la pluie. Je dors avec mon
uniforme trempé et attrape des rhumatismes articulaires au genou gauche. Je
refuse de me faire évacuer et suis le groupe dans le camion d’ambulance.
Sinapismes, pointes de feu.
Tranchées relativement calmes à Soissons en Décembre
où j’avais la bêtise d’aller d’un peloton à l’autre, la nuit, en passant par le
no man’s land.
Notre capitaine, le Capitaine Muller, auquel je suis
attaché, nous quitte, car il est nommé adjudant major au 25e bataillon de
chasseurs à pied. Je regrette d’autant de le voir partir pour des unités
d’attaque que j’en avais déjà fait moi-même la demande. Notre part n’a pas été
assez active dans l’offensive de
Le temps de composer une revue pour le groupe à Donnemarie, je sable le champagne avec les officiers et me
sépare de mes hommes avec beaucoup d’émotion.
Je rejoins le 25e bataillon de chasseurs à Joignes, le
13 février 1917.
J’étais plein de cran et fier d’appartenir à une
unité d’élite qui venait de se couvrir de gloire à Verdun et qui fut décimée
aux Eporges, mais j’étais assez triste d’avoir quitté
mes hommes du groupe cycliste auxquels j’étais attaché. Mon sous-officier, le
sergent Delaporte, devait être quelques temps plus tard décapité par un obus.
Enfin, sauf le capitaine Muller, je ne connaissais personne au 25.
Je fus reçu par le Commandant Cabotte,
commandant le 25, plus tard général, héros légendaire qui attaquait toujours en
tête de ses troupes avec son ordonnance et le fanion du bataillon. Il me reçut en
me laissant au garde à vous et me fit un petit discours dans lequel il me dit
que je n’étais que de la chair à canon, comme les autres, et que je n’avais
qu’à souhaiter de tomber héroïquement comme eux. C’était glacial, comme l’hiver
que nous traversions.
Je suis affecté à la 1re Compagnie au commandement de
la 2e section (4 escouades, 40 hommes).
Comme une offensive est prévue prochainement, on
envoie les hommes en permission. J’en profite pour passer dix jours à Blois et
reviens pour partir aux tranchées. Mon carnet marque «28 kilomètres par un
froid intense ». Une véritable pluie de glace me cingle le visage et me coupe
les jambes. Mon nouveau capitaine, le capitaine Ducrocq
prend le commandement de la compagnie. Il vient du 12e
cuirassiers. Il a grande allure et, jusqu’à sa mort sous mes yeux, il
sera un ami et un chef admirable. Nous montons aux tranchées dans le secteur
de Sermoise au pont de Missy.
On voit l’ennemi de l’autre côté de l’Aisne.
Mais c’était le jour du recul volontaire allemand de
1917. Le soir même de notre arrivée en ligne, le 18 mars, nous passons l’Aisne
et, par marches forcées, atteignons Soissons par Salsogne,
Nanteuil-sous-muret, Rozières
et Vignolles.
Nous y arrivons en débandade tellement nous sommes épuisés. A Soissons
même, dans une cour que je revois encore, on nous sert un café très alcoolisé
qui miraculeusement, nous donne de l’ardeur malgré notre fatigue extrême. Nous
cantonnons à Crouy où les arbres fruitiers sont
méthodiquement coupés et les sources infectées, puis nous sommes engagés sur le
plateau au nord de Vregny.
Il fait un froid
invraisemblable dans cette tranchée où nous couchons et où j’essaie de dégeler
mes pieds sur un réchaud à alcool solidifié. Mais le « boche » nous a repérés
et nous bombarde pendant trois heures de suite. Les pertes sont sévères, mais
au 25 on en a l’habitude. Puis nous partons dans le secteur de la ferme du Pont
Rouge.
27 mars 1917, 5 heures « Mon capitaine, je vous
affirme qu’il n’y a pas grand monde en face de nous —Vous croyez? — J’en suis
convaincu.
— Alors, marchez. Je vous
laisse libre. »
6 heures, prise de deux petits postes ennemis avec des prisonniers et
quantité de matériel et de munitions.
Le même jour, 15h45, préparation d’artillerie hélas
trop courte. Les 75 nous ravagent, Il est terriblement démoralisant d’être
bombardé par sa propre artillerie, d’autant que le 75 éclate
sec. 16h. Progression à la grenade par les
boyaux. Prise du « chemin creux ». Affaire sérieuse. Le soir enfin
relève.
Cantonnement à Noyant. Les nouvelles de Russie sont
mauvaises. Le régime tsariste s’effondre et les troupes sont en déroute.
Cependant l’intervention américaine est décidée, ce qui nous réchauffe le
coeur. Et puis, j’ai ma première citation au 25e chasseurs, qui
relève singulièrement ma cote auprès de mes camarades : « Chef de section
calme et courageux. A montré beaucoup d’entrain et d’audace dans l’attaque à la
grenade du 27 mars 1917.»
Les nouvelles de Blois sont bonnes. Raymond est
observateur d’aviation à l’escadrille 17.
Après quelques jours seulement de repos, nous montons
en ligne au château de Soupir pour une période de travail de préparation
d’attaque.
16 avril 1917. 6 heures du matin. Attaque. Enfin. Mon impatience était grande.
Comment va-t-on gravir ce Mont Sapin qui est devant nous? Comment va-t-on
franchir ce barrage d’artillerie ininterrompu depuis des heures et qui fait
rage devant nous? 6h moins 4, moins 3... un pied sur
le premier des gradins de franchissement, le révolver armé dans la main droite,
je vais sortir en tête de mon unité. 6h moins 2, moins 1... Peut-être dans une
minute serai-je tué en sortant de la tranchée. Mais non. 6 h. En avant. Les
fils de fer sont franchis. C’est un fracas d’enfer. Un obus tombe à mes côtés,
tuant un petit caporal et deux chasseurs. Je m’en aperçois à peine. Il fait un
soleil radieux qui illumine toutes les baïonnettes sur des kilomètres. Un vrai
tableau de Detaille. Montons! Montons! Arrivés presque à la crête, nous nous
arrêtons. Nous sommes en flèche. Les mitrailleuses crachent de partout. De tous
les abris ennemis partent des fusées vertes. A notre gauche, les sénégalais
attaquent, couteau entre les dents, et envahissent les « creutes
», dont ils ressortent rapidement, notre artillerie tirant trop court. Je
braque mes fusils mitrailleurs qui enfilent Chavonne.
Des mains se lèvent : Kamerad! De partout alors
sortent des files de prisonniers, 50, 100, 500 qui descendent vers nos lignes.
Un capitaine boche se rend au capitaine Ducrocq et le
félicite en bon français de l’entrain de nos chasseurs. A 10 heures, le Mont
Sapin est pris, Pas trop de pertes et nous apercevons le 29e
chasseurs en renfort. Au tableau, 22 mitrailleuses intactes et 10 canons
de tranchée.
A midi, nous réattaquons. Le général Nivelle veut
profiter de l’effet de surprise, mais nous sommes stoppés net par un nid de
mitrailleuses irréductible, et nos 155
tirent trop court.
Le lendemain, nous attaquons par le boyau Falkenhayn. Nous sommes pris
d’enfilade par une pièce boche de 150 qui fait des ravages dans nos rangs. Les
hommes sont atterrés. Je me rappelle ce pauvre Galland que j’ai du menacer de
mon révolver pour le faire sortir de son trou et attaquer. Je me rappelle
surtout ce pauvre mourant anonyme qui, du fond d’un abri, me crie « N’entrez
pas là, mon lieutenant, c’est la mort ». Quelques secondes après, un obus
défonçait l’abri, déchiquetant ce héros que personne ne connaîtra dans
l’histoire. Quelque peu énervé, je trébuche sur les cadavres et j’arrive enfin
au capitaine qui me donne l’ordre de cesser l’attaque.
Mais l’ennemi, menacé de débordement, part
précipitamment. Nous prenons position le soir même dans le boyau d’Ostie,
encombré de cadavres ennemis que nous alignons dans la boue pour pouvoir
progresser dans le boyau. L’un d’eux sert de parapet. Il est en morceaux et
caparaçonné de boue. Je remarque que sa bouche remue encore et je lui tire une
balle dans la tête pour abréger ses souffrances.
19 avril. C’est la rase campagne. Nous trouvons
maintenant de l’herbe, des arbres. Nous marchons à la boussole et nous faisons
halte à la ferme de Folemprise, puis nous sommes
relevés par le 26e chasseurs.
Nous défilons dans Braisne, fanfare en tête,
mais les pertes sont lourdes et le bataillon est squelettique. Les habitants
délivrés, pleurent sur notre passage.
Je pars en permission à Brest pour le mariage de Robert. Je crois
rêver,
car je sors d’un enfer. L’offensive a fait 40 000
prisonniers, mais elle a coûté
60 000 morts.
Le bataillon gagne la fourragère.
Je suis nommé sous-lieutenant.
Coup sur coup, il me fallait connaître maintenant
l’enfer du Chemin des Dames, enfer auquel mes pauvres « poilus », pourtant
spécialistes des attaques1 ont difficilement pu résister.
7 mai 1917. Avec le 6e corps (127e division), nous
montons en ligne devant la ferme de
L’ennemi attaque le 14 sur tout le front. La bataille
est très chaude. Il est stoppé net. Le 29e B.C.P. qui est en ligne perd une
compagnie entière (capitaine Bertin) à ta Chapelle Sainte-Berthe. Nous sommes
en renfort, mais je m’installe en 1re ligne avec mes hommes dans un élément de
tranchée vite repéré par une pièce de 88 qui ne nous laisse en paix qu’après
avoir tué mon caporal et mon sergent (cher sergent Ribault). Affreusement
déchiquetés, ils sont enterrés sur place et dans la boue. Enfin, nous croyons
la relève venue, mais nous remontons immédiatement en ligne et à nouveau devant
Lettre de ma mère : Raymond est cité à l’ordre de
la 69e division :
«Très bon observateur, calme et méthodique, a, pendant la préparation
d’artillerie, réussi la plupart des réglages qui lui furent confiés. S’est
particulièrement distingué pendant les attaques du 16 avril, en exécutant deux
liaisons d’infanterie à faible hauteur. »
Départ dans les Vosges le 5 juin. St-Amé, Remiremont, Liezey, Fraize et montée aux tranchées du Linge. Cela nous
change du Chemin des Dames. Secteur calme. Nous sommes dans les sapins. Mon
carnet marque « Liaison à cheval dans les nuages, côtoyant des précipices. Je
me fie au flair de mon cheval. »
Montée en ligne au Schratzmaneele.
Nuits très agitées. Une torpille arrive à
Quelques jours agréables à Longemer, puis nous
remontons au Schratzmaneele. L’ennemi est très
remuant. Nous ne dormirons ni de jour ni de nuit. Coup de main ennemi pour
enlever ma section. J’évacue la première ligne et fais déclancher un formidable
tir de barrage qui stoppe l’adversaire. Celui-ci riposte par des torpilles.
Relève à Gerbepal chez le
curé qui meurt dans la nuit. Cette solitude avec ce cadavre m’est désagréable.
Comme je suis bachelier en droit, on me réclame à la division comme avocat au
conseil de guerre. Je n’oublierai jamais que j’ai laissé condamner un pauvre
territorial alors que j’ai fait acquitter le coupable sergent Sad Saoud. Il est vrai qu’entre temps, j’avais fort bien
déjeuné chez le général d’Anselme.
Nous devions monter encore en ligne au Barrenkopf en Décembre, dans des tranchées glaciales où les
hommes avaient à peine la force de tenir leur grenade à main. J’avais un
passe-montagne envoyé de Blois, mais j’ai eu le nez gelé, ce qui est très
pénible, car il se forme de gros furoncles suppurants à l’intérieur. Enfin,
permission.
Les nouvelles sont inquiétantes. La révolution russe
s’accentue. Les italiens sont défaits à Capporetto.
Cependant Clémenceau a pris le gouvernement et Pétain a rétabli le moral de
l’armée par sa bonhomie et son souci du bien-être du soldat.
Alors pendant trois mois, ce sera une série de repos
et de cours d’entraînement d’abord à Beaulieu, dans le Doubs, ou nous sommes
très bien reçus et ou je fais du deux pianos avec
Madame Duvernoy-Peugeot, puis à Monthureux où, avec
le capitaine Fontaine, je dirige un cours de gradés, enfin à Martigny les Bains
pour un cours de tanks. Enfin revue par le général de Mitry
et fête du 355e d’infanterie où je retrouve mon Commandant Muller qui avait
quitté le 25e B.C.P.
Raymond continue à se couvrir de gloire. Il est versé
à l’escadrille 43 pour l’instruction des américains, après avoir été cité à
l’ordre du 3e corps d’armée : « Blessé le 8 août dans un accident survenu
au cours d’un vol sur les lignes, n’a consenti à prendre aucun repos. A volé
journellement et rendu les meilleurs services pendant les combats du 10 au 20
août1917.»
Victor, blessé à l’épaule par un coup de révolver
ennemi est cité à l’ordre du même corps d’armée et soigné à Lyon : « Jeune
officier d’un courage au dessus du tout éloge, faisant l’admiration de tous les
hommes par son mépris absolu du danger. »
Quant à Robert, il est cité à l’ordre de
La croix de guerre de ma mère s’allonge.
Il était
inévitable que je sois frappé à mon tour.
Avril 1918. L’ennemi lance soixante divisions de
Nous arrivons sans trop de pertes dans les trous qui
entourent le village de Grivesnes. Avec moi, j’ai une
mitrailleuse. Sept fois, l’ennemi attaque dans la journée du 4 avril. Sept
fois il est repoussé avec de lourdes pertes. Il ne conservera le soir qu’un
petit coin du parc du château. La nuit, nous faisons bonne garde. J’installe un
poste à quelques mètres de l’ennemi, au carrefour des routes.
5 avril. La matinée est calme. Nous commençons à
penser que l’ennemi renonce à la possession de ce village âprement disputé,
lorsqu’à 14 heures, nos 75 entament une préparation courte et dense. Au même
instant, je reçois l’ordre du Capitaine Hautier, à ma
droite, de me porter en avant de
A la nuit, l’aumônier arrive et me donne l’extrême onction. Ma blessure
n’est pas belle à voir, car la poitrine est ouverte sur
Là, j’ai connu la plus
horrible nuit de mon existence. A Septoutre, je
trouvai une affluence formidable de blessés. C’étaient tous ceux du 9e corps
qui avait attaqué ce jour là. On nous empile dans un hangar, à la merci du
moindre obus. Nous devions y passer toute la nuit. Défense d’éclairer pour ne
pas être repérés par l’artillerie ennemie. Certains blessés devenaient fous,
et, se dressant, marchaient sur la blessure de leur voisin. Tous hurlaient,
demandaient à boire et formaient un concert horrible de cris déchirants. Les
autos, embourbées, n’arrivèrent qu’à 6 heures du matin.
On m’emmène à Paillard pour
y recevoir une piqûre antitétanique et je suis hospitalisé à Beauvais dans une
chambre que je partage avec le capitaine Langlois, de Tours, blessé au ventre,
et dont le sang coulait jusque sous son lit. Comme mes jambes n’étaient pas
atteintes, j’essaye en vain de trouver un infirmier. De guerre lasse, je soigne
moi-même le capitaine. Puis, ne voyant venir aucun soin, j’obtiens, au bout de
trois jours, d’être évacué.
Creil, Juvisy, Vendôme. Je réclame
le médecin du train car ma blessure, infectée, répand une odeur nauséabonde. Il me dit « C’est la sueur. » et s’en va
tranquille... A Saint-Pierre-des-Corps, je demande à être descendu. On m’hospitalise
à Saint-Gatien de Tours. J’étais en assez piteux
état. Ma blessure est d’abord largement désinfectée à l’éther, puis je suis
opéré par le docteur Ombredanne qui me suture le
pectoral et les chairs environnantes en s’efforçant de me conserver la liberté
des mouvements de mon bras gauche. Je lui en ai voulu d’arracher chaque jour
d’un seul coup mon pansement (à tel point que je le faisais décoller au
préalable par la bonne soeur) mais je lui dois l’élasticité de ma cicatrice.
J’ai des nouvelles de ma compagnie. Le Capitaine Ducrocq me fait une réputation flatteuse. Il écrit à sa
femme (Lettres du Capitaine Ducrocq) « J’ai vu le
petit Dillard l’autre jour, emmenant sa section à l’attaque sous les rafales de
mitrailleuses. Il venait de permission la veille. Il savait officieusement
qu’il était affecté au dépôt divisionnaire, mais ne le sachant pas
officiellement, il est revenu au bataillon. Il partait sous les balles, la
canne à la main, en riant. Il a fait
A Tours, le journal m’apprend la mort à l’hôpital de
Beauvais du Capitaine Langlois...
Dès que je peux commencer à me servir de mon bras, je demande à partir
en convalescence, bras en écharpe.
Ma mère, toujours calme et résignée, décorait la cheminée du salon. Ma
citation était signée Mangin. Elle portait : « Jeune officier très brave,
plein d’allant, sachant communiquer à tous son entrain et son esprit du devoir.
Grièvement blessé le 4 avril 1918 en se portant à la tête de sa section vers un
point dangereux dans un moment critique. » Mais l’aviation et l’artillerie
avaient aussi leur page de gloire. Raymond d’abord : «le 16 mars
J’avais le plus grand désir de repartir au plus tôt
pour le front, rejoindre mon cher capitaine avec qui je me tenais en liaison et
les quelques camarades et hommes qui me restaient. Aussi m’adonnai-je à un
entraînement physique intensif avec un professeur de gymnastique suédoise pour
pouvoir me servir de mon bras gauche et en même temps reprendre des forces.
(Lettres du capitaine Ducrocq) «J’ai reçu
aujourd’hui une très belle lettre de Dillard. Il. est un peu affolé à cause de
Paillet... Il veut revenir avant d’être guéri. Ce petit gosse est décidément
très chic... ».
Le 27mai 1918, les Allemands avaient attaqué en force
le Chemin des Dames et fait 50000 prisonniers. Le généralissime Foch décide de
tenir coûte que coûte.
Je rejoins mon bataillon dans l’Est au camp de Gilaumont. J’ai tout de même un peu de lassitude, mais je
suis heureux de retrouver mon capitaine. La compagnie a été très éprouvée en
mon absence. Le lieutenant Paillet a perdu ses deux jambes. Le capitaine Ducrocq écrit au général, son père «J’ai eu une bonne
surprise. Mon petit Dillard est revenu. Il a une belle cicatrice à la poitrine,
mais toujours le même entrain et le même coeur. Je le remets à la 1re
compagnie. C’est un vraiment tout à fait chic officier. Et cela m’a causé une
réelle joie. Rien de tel quand on a vu un type sur un brancard à moitié mort,
que de le retrouver ainsi. Je crois qu’il a fait la conquête d’une américaine
et de plusieurs françaises pendant sa convalescence » (gratuit) « Le petit
sacripant! Il s’est moqué de moi parce que j’étais adjudant major. Je le lui
ai rendu en lui demandant ostensiblement des nouvelles de l’arrière... »
Nous quittons les Eparges pour gagner l’Argonne à
marches forcées. Ma blessure me fait beaucoup souffrir. Relève à
C’est l’Aisne qui sera pour moi l’abomination de la désolation.
C’est la bataille de France.
À Montgobert, mes chasseurs cantonnent
avec des écossais qui nous regardent défiler, assis sur le bord de la route.
Nous constatons avec amusement qu’ils n’ont rien sous leur kilt.
Le capitaine. Leloup
commande la 1re compagnie. Le capitaine Ducrocq,
adjudant major, est en permission.
30 juillet 1918. Nous bivouaquons dans un bois à Saint-Remy Blanzy. Nous sommes à l’abri et nous rassemblons
auprès du cuistot pour le café. Soudain un obus de 210 tombe avec ce sifflement
qui lui est particulier et éclate au milieu de ma section. C’est un horrible
massacre. 14 tués dont deux sergents. L’un a été projeté à plusieurs mètres en,
l’air et est retombé sur moi. L’autre a eu la tête tranchée et lancée à
Nous arrivons le 1er août devant Grand Rozoy. Avec ce qui
reste de ma section, il me faut attaquer. Le bombardement ennemi est
formidable, et, chose curieuse, nous enivre littéralement, au point que nous
attaquons en chantant
2 août. La marche en avant reprend. L’ennemi, talonné
par nos attaques incessantes, se replie. Nous gardons le contact. Launoy, Droizy, Muret et Crouttes, Mast et Violaines tombent entre nos mains. Malgré notre fatigue et
nos pertes, le moral est élevé.
3 août. Nous attaquons la ferme
Nous sommes enfin relevés pour huit jours. Le petit
lieutenant Menu de Menu vient en renfort à la 1re Parmi les
officiers, capitaine Pegard tué, capitaine Dumontier
tué, lieutenant Arnoult tué, et mon carnet marque « blessés sans nombre ».
Le 14 août, nous remontons en ligne. Le capitaine Ducrocq est rentré. Taille-fontaine, bois de Bitry, plateau de Tartiers.
Maudit plateau de Tartiers.
Attaque générale le 21 août. C’est un passement de
ligne sur le 4e B.C.P. dont les éléments ont atteint la route de Nieuxy à Tartiers. A huit heures,
nous arrivons à leur hauteur, mais il est impossible de progresser. L’ennemi a
organisé là une résistance acharnée. Les pertes sont terribles. À 8 heures 30,
mon ordonnance reçoit une balle dans la tête, mon agent de liaison trois balles
dans le ventre. Le pauvre lieutenant Menu de Menil
est tué d’une balle au coeur. Le capitaine Ducrocq
vient se rendre compte du désastre. Il est tué d’un éclat d’obus à la tête. Le
spectacle est affreux. C’en est trop. Je suis désespéré. Le capitaine Clauzolles prend de sa propre initiative le commandement du
bataillon, complètement désorganise. Il me choisit comme adjoint et me donne
comme mission d’assurer la liaison à notre droite avec les corps voisins. Je
suis tellement dégoûté que je pars seul, à découvert, et que j’arrive par
extraordinaire à assurer dans cet enfer les liaisons voulues. Nous arrivons à
occuper le haricot de Villers
Ce mois d’août fut terrible et nous sommes tous à la
limite de notre résistance nerveuse. Des camions nous attendent que nous atteignons en débandade. C’est là que par hasard nous
sommes croisés par la voiture du général Mangin. Que va-t-il se passer? Mais
celui-ci, que les hommes du 9e corps appelaient « le boucher » se met debout
dans sa voiture et, par son regard de dompteur, oblige tous les chasseurs à se
lever et à se mettre au garde à vous.
Enfin, nous atteignons Monsoult
Maffliers, près de Paris. Je suis chargé d’apprendre
à la famille Ducrocq la mort du capitaine. Madame Ducrocq, Mademoiselle Ducrocq viennent me voir, ainsi que le Colonel et Madame
Menu de Menu, pour avoir des détails sur la fin héroïque de mes camarades.
C’est infiniment douloureux.
J’envoie à ma mère, pour sa croix de guerre, ma
dernière citation qui est signée du Maréchal Pétain : « Jeune officier au courage
calme et souriant, animé des plus belles qualités militaires. A peine guéri
d’une grave blessure, est revenu volontairement au front. Du 21 au 25 août
Mais je suis découragé. Mes camarades officiers sont
morts. Je ne connais plus mes hommes. La compagnie d’ailleurs ne compte plus
que 70 hommes. Le bataillon ne reçoit que deux cents hommes pour combler des
pertes énormes. Et puis ma blessure me fatigue.
J’ai du mal à porter l’équipement du fantassin. Mon complet désarroi me
fait faire une demande officielle pour passer dans l’aviation. Le péril est
probablement aussi grand, mais on couche dans un lit. Il y a un bar, etc... au lieu de la boue, du
froid et de la compagnie des cadavres. J’y ai cependant un certain mérite car
je suis affligé d’un vertige incoercible.
Raymond et Victor viennent me voir. Raymond a été
commotionné à Pierre-fonds par un accident d’avion au
retour d’un vol sur les lignes. Mon frère Etienne est mobilisé au 4e bataillon
de chasseurs à pied. C’est le sixième fils que mes parents voient partir pour
la défense du pays.
Nous restons dix-huit jours au repos. J’en profite
naturellement pour organiser des soirées théâtrales. La proximité de Paris me
permet de faire d’utiles démarches et de ramener Dussane
et Crôué de
Et le drame recommence...
Départ en camions le 17 septembre 1918. Débarquement à
Soissons. Cantonnement à Vregny et montée en ligne à
21 septembre. Le lieutenant Breche
rentre de permission, et m’apporte un pli de la part du Commandant m’enjoignant
de partir immédiatement dans l’aviation. Miracle de
Deux jours après, j’étais au centre d’instruction
d’observation de Marigny le Chatel. Mon carnet porte
« Vols quotidiens, photos, réglages ». Je dois dire que le jour de mon arrivée,
j’ai bu plus que de raison (il y avait un piano au bar) et que, le froid
aidant, je me suis retrouvé dans le fossé bras dessus bras dessous avec mon
camarade Cusset. Puis examen final qui me permit d’entrer dans l’aviation comme
observateur et de partir à Cazaux pour un cours de perfectionnement.
Que l’on s’imagine le séjour de rêve que pouvait être
pour moi cette école de Cazaux en sortant de l’enfer! On vole sur hydravions et
on tire à la mitrailleuse sur cibles à terre. Je fais la connaissance de Max
Durand et de Michel Veber.
Les nouvelles de mon bataillon sont toujours noires.
Le lieutenant Breche, qui m’a remplacé à mon poste, a
naturellement été grièvement blessé.
Enfin, je suis affecté à l’escadrille Salm 8 de la 4e
armée. Je la rejoins en traversant Paris où je me trouve par hasard le 11
Novembre 1918.
C’est là que j’apprends la nouvelle de l’armistice.
Toute la journée, j’ai pleuré toutes les larmes de mes yeux.
Tout Paris s’embrasse.
Je regagne mon unité d’aviation, c’est-à-dire
Escadrille de Breguet Renault. J’avais Roger Mollet
comme pilote. Nous nous déplaçons en Belgique. Habay
début de
1919, l’escadrille est dissoute. Je demande alors à réintégrer le 25e bataillon
de chasseurs où j’ai fait toute la guerre.
Je le rejoins dans
Naturellement je montai une revue intitulée «
Mais il fallait songer à la démobilisation. C’est
alors que je m’aperçus que, par le fait des circonstances, j’étais officier
d’active. Il fallut de nombreuses démarches pour faire accepter ma démission
et me faire passer dans le cadre de réserve. En attendant, je payai de culot et
je louai un pied à terre à Paris, 7 bis, rue Eugène Carrière, sans savoir même
ce que je ferais, ni si ma démission serait acceptée.
Et nos boutonnières rougirent...
La promotion Fayolle nous apporta à chacun la croix de
la légion d’honneur avec des citations rappelant celles que nous avions déjà.
Robert d’abord, qui sera plus tard contre-amiral. Raymond, puis Victor qui
mourra au cours de la guerre suivante, prêtre-ouvrier de la compagnie de Jésus,
en déportation à Dachau. Quant à moi, je reçus ma croix dans la cour des
Invalides des mains du gouverneur militaire de Paris.
Ma mère vécut encore quelques années, avant de
s’éteindre dans le Seigneur. Mon père aura plus tard, lui aussi, la légion
d’honneur à cause des nombreuses présidences d’oeuvres qu’il accumulait.
Je fus reçu à Evreux dans la belle famille de mon
frère Robert et chez ses cousins Querenet au Pavillon
de
C’est là que je l’ai rencontrée.
Elle s’avançait dans l’allée de